La CEACAM5, une cible potentielle dans la lutte contre le cancer du poumon

Le cancer du poumon est l’une des formes les plus fréquentes et l’une des principales causes de mortalité dans les cancers, tant chez l’homme que chez la femme1. Mais il ne désigne pas une simple pathologie : le « cancer du poumon » regroupe un ensemble de maladies, chacune ayant sa propre cible moléculaire ou constellation de cibles. Bien comprendre ces cibles est essentiel pour les chercheurs en cancérologie. Cela permet de concevoir des médicaments conjuguant le bon équilibre entre efficacité et toxicité, et d’anticiper les mutations du cancer qui pourraient entraîner une résistance au traitement.
Nos équipes de R&D sur le cancer du poumon ainsi que nos partenaires d’Immunogen, Inc. étudient actuellement une molécule cible située à la surface de certaines tumeurs pulmonaires : la CEACAM5 (molécule d’adhésion cellulaire liée à l’antigène carcino-embryonnaire 5), une protéine qui pourrait être ciblée par des anticorps. Se basant sur sa connaissance des anticorps, l’équipe travaille à l’élaboration d’un médicament anticancéreux capable de s’attaquer à la CEACAM5.
Conjugués anticorps-médicaments : un véritable GPS pour les thérapies anticancéreuses

Marie-Priscille Brun explique les conjugués anticorps-médicaments
La chimiothérapie affecte l’ensemble de l’organisme, ce qui signifie qu’elle peut endommager aussi bien les cellules cancéreuses que les cellules saines. Pour réduire les effets secondaires qui en résultent, les chercheurs s’intéressent à la capacité des anticorps à se fixer à une molécule spécifique de l’organisme. Appelés « conjugués anticorps-médicaments » (ADC − antibody-drug conjugates), ces agents thérapeutiques sont conçus pour transporter un médicament de chimiothérapie jusqu’à une protéine spécifique sur une cellule tumorale.2
Les ADC s’apparentent à un véhicule chargé de livrer à domicile un colis (dans ce cas, un agent chimiothérapeutique) jusqu’à une tumeur. Ce type de précision réduit la quantité de médicament nécessaire pour agir sur la tumeur, ce qui pourrait limiter la quantité et la toxicité des thérapies ingérées par l’organisme.
La plupart des ADC sont conçus pour cibler les cancers du sang3, mais nous étudions leur potentiel thérapeutique contre d’autres formes de cancer non sanguins, notamment du poumon.
Trouver la bonne cible : la CEACAM5
La protéine CEACAM5 est présente en plus grande quantité sur les cellules tumorales que sur les cellules normales. En effet, alors qu’elle est faiblement exprimée sur les tissus sains, elle l’est fortement à la surface de certains types de tumeurs, notamment le cancer du côlon, de l’estomac et du sein. Nous avons également constaté qu’environ 25 pour cent des patients atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules et non squameux présentaient une forte expression de CEACAM54.
Mais toute la difficulté réside dans le fait que d’autres protéines « CEA », similaires à la CEACAM5, sont également exprimées à la surface de certains tissus sains5.
Pour répondre à cette problématique, nos équipes ont conçu un médicament expérimental anti-CEACAM5 parfaitement adapté à sa cible.
« Nous possédons une longue expérience dans la conception de molécules cytotoxiques. Il était donc naturel pour nous de mettre au point des ADC », explique Stéphanie Decary, chef de l’équipe de recherche sur les conjugués anticorps-médicaments et l’immuno-oncologie chez Sanofi.
Tout d’abord, l’équipe de Mme Decary a étudié comment faire en sorte que l’ADC soit internalisé par la protéine CEACAM5 avant de « délivrer » sa charge cytotoxique dans la cellule tumorale située dans le poumon. Puis elle a conçu un anticorps monoclonal capable de se fixer à la CEACAM5 sans s’accrocher à des protéines CEA similaires.
En effet, s’agissant d’un ADC, ce médicament expérimental ne peut s’accrocher par inadvertance à des protéines CEA similaires à la surface de tissus sains. Et grâce au « ligand » qui maintient l’ADC stable lorsqu’il circule dans le sang, celui-ci ne libère sa charge cytotoxique qu’une fois qu’il a pénétré dans la cellule cible6.
L’équipe a constaté que lorsque le niveau de CEACAM5 exprimées était élevé, le médicament anticancéreux pouvait pénétrer dans les cellules et déclencher une activité antitumorale même si le taux d’internalisation n’était que « moyen ».
« Ça a été un moment tout aussi magique qu’enthousiasmant », se souvient Stéphanie Decary. « La plupart des patients atteints d’un cancer se voient diagnostiquer alors que la maladie s’est déjà propagée, et doivent subir des traitements systémiques. Nous savions que nous travaillions pour une population de patients hautement vulnérables présentant un besoin important, et qu’il fallait développer cette molécule de toute urgence7. »
Attention : Le candidat CEACAM5 dont il est question dans cet article est un composé expérimental dont la sécurité et l’efficacité chez l’humain n’ont pas encore été évaluées par une autorité réglementaire.
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Marie-Priscille Brun explique les conjugués anticorps-médicaments
Références
- American Cancer Society (2020) Key Statistics for Lung Cancer. Page consultée le 14 mars 2022.
- Lambert JM, Morris CQ (2017) Antibody-Drug Conjugates (ADCs) for Personalized Treatment of Solid Tumors: A Review. Adv Ther 34:1015‐1035; doi:10.1007/s12325-017-0519-6.
- Birrer MJ, et al. (2019) Antibody-drug conjugate-based therapeutics: state of the science. J Natl Cancer Inst 111:538‐549; doi:10.1093/jnci/djz035
- Shively JE, Beatty JD (1985) CEA-related antigens: molecular biology and clinical significance. Crit Rev Oncol Hematol 2:355‐399; doi:10.1016/s1040-8428(85)80008-1.
- Hammarström S, Stigbrand T (2002) Gastric Cancer. “Tumor Markers, Physiology, Pathobiology, Technology and Clinical Applications” Eds. Diamandis E. P. et al., AACC Press, Washington, p. 375 à 379.
- Sharkey RM, et al. (1990) Murine monoclonal antibodies against carcinoembryonic antigen: immunological, pharmacokinetic, and targeting properties in humans. Cancer Res. 50:2823‐2831.
- Zappa C, Mousa SA (2016) Non-small cell lung cancer: current treatment and future advances. Transl Lung Cancer Res 5:288‐300; doi:10.21037/tlcr.2016.06.07.