Lorsque l’ancien président des États-Unis Bill Clinton a annoncé, en juin 2000, que le premier séquençage du génome humain était achevé, il a prédit dans la foulée que cela allait « révolutionner le diagnostic, la prévention et le traitement de la plupart, sinon de toutes, les maladies humaines » en permettant aux médecins de développer des médicaments de pointe pour s’attaquer aux « racines génétiques » des maladies.

Dix-huit ans plus tard, l’espoir du  président Clinton que « le cancer ne soit plus que le nom d’une constellation du zodiaque pour les enfants de nos enfants » apparaît aujourd’hui exagérément optimiste, comme le fut le rêve de faire voler les voitures 30, voire 40 ans après le premier voyage sur la lune.

Pour Stephane Kirkesseli, Deputy Head, Translational Medicine and Early Development, Clinical Pharmacology  de Sanofi, il ne fait aucun doute que les attentes initiales concernant la médecine génétique étaient quelque peu démesurées. « Certaines personnes pensaient faire analyser leur code génétique et, sur la base de l’analyse de leur génome, obtenir des traitements véritablement personnalisés », explique-t-il.
« Nous sommes encore très loin de cette réalité. »

Nous avons plutôt atteint le stade de la « médecine stratifiée », pour reprendre l’expression de Stephane Kirkesseli, c’est-à-dire celui d’une médecine qui exploite les résultats des analyses génétiques et d’autres techniques pour déterminer quels sont les sous-groupes de patients susceptibles de répondre de telle ou telle manière à certains traitements. « Nous sommes aujourd’hui capables de définir des sous-groupes de patients à partir de biomarqueurs et de développer des médicaments ciblés pour ces sous-groupes spécifiques de patients », souligne-t-il.

L’asthme, autrefois considéré comme une « entité pathologique unique, permet d’illustrer l’intérêt de la
« médecine stratifiée » dans la prise en charge d’une maladie complexe, autrefois considéré comme une
« entité pathologique unique ». Mais après plusieurs années de recherche, « un certain nombre de sous-catégories ont été définies sur la base de différents marqueurs », comme certaines catégories de cellules inflammatoires présentes dans les poumons des patients, ce qui a abouti au développement de nouveaux médicaments.

Il s’agit d’un pas important vers une véritable médecine de précision ou personnalisée, mais nous n’avons toutefois pas atteint le stade auquel nous aspirions il y a 20 ans. Cela est dû en partie au fait que le génome n’est pas une carte aussi simple et facile à interpréter qu’on le pensait à l’origine.

Au départ, les chercheurs pensaient en effet que le génome était un code, comme un code informatique, mais à mesure que les connaissances se sont approfondies, la médecine de précision ne s’est plus cantonnée à l’examen du génome et à son séquençage, comme s’il s’agissait d’algorithmes complexes, mais aussi à la combinaison des données génétiques avec le plus grand nombre possible d’autres données tirées des dossiers médicaux, sur l’activité physique et l’alimentation, sur l’exposition aux toxines, etc.

L’objectif de cette approche intégrée, parfois dénommée médecine personnalisée, est de tirer parti des techniques les plus récentes de l’informatique, des dispositifs médicaux connectés et des techniques d’analyse afin d’élaborer un plan personnalisé pour un patient donné ou une sous-catégorie de patients particulière. L’intégration des données de vie réelle aux données tirées des essais cliniques randomisés, des dossiers médicaux électroniques et des ensembles de données publiques ouvre de nouvelles perspectives et permet d’envisager l’administration du bon traitement au bon moment, parfois en l’associant à des modifications du régime alimentaire ou du comportement.

Harmoniser les données pour les contextualiser

Pour que les techniques informatiques comme l’apprentissage automatique soient plus efficaces et permettent de faire avancer la médecine de précision, différents ensembles de données : données génomiques, données provenant des dossiers de santé, données comportementales et environnementales, doivent être harmonisés afin qu’ils puissent être exploités collectivement.

Pour cela, il faut réunir ces données sur une plateforme de mégadonnées, explique Javier Jimenez, Vice-Président, Global Head for Real World Evidence and Clinical Outcomes de Sanofi, de sorte que l’apprentissage automatique, la visualisation et les techniques de modélisation analytique et prédictive permettent de recueillir des informations plus précises sur l’effet qu’un médicament peut avoir sur différentes catégories de patients. Cela revient aussi à « tenir compte non seulement de la biologie des patients, mais aussi de l’environnement dans lequel les soins sont dispensés. » Nous pouvons ensuite utiliser les résultats tirés de l’analyse des données anonymisées de plusieurs milliers ou millions de patients pour calculer la probabilité que tel ou tel patient obtienne un résultat clinique particulier, de façon à dispenser le bon traitement au bon moment.

Un nombre croissant d’entreprises de santé utilise des données de vie réelle et des plateformes sur le cloud, comme notre plateforme de données DARWIN, « pour mieux comprendre les patients, mieux se concentrer sur leurs besoins et illustrer la valeur des produits », explique Javier Jimenez, qui ajoute que des progrès doivent encore être accomplis pour améliorer la qualité et l’harmonisation des données et régler les questions de confidentialité et de sécurité. « La confidentialité est un aspect fondamental en ce qui concerne les données de vie réelle », explique Javier Jimenez et « pour Sanofi, il s’agit d’une priorité. »

La mobilité pour mieux comprendre les patients

L’évolution des dispositifs mobiles connectés joue un rôle considérable dans le recueil de données comportementales qui peuvent ensuite être utilisées pour améliorer les soins.

Qu’il s’agisse de dispositifs hautement spécialisés ou de produits de grande consommation comme Fitbit ou la montre Apple, la quantité de données générées par personne augmente de manière exponentielle. La nouvelle montre Apple intègre un électrocardiogramme et propose une application qui permet de détecter les irrégularités de la fréquence cardiaque. Ces deux applications ont été approuvées par la Food and Drug Administration des États-Unis.

Sanofi collabore avec une entreprise de la Silicon Valley, Evidation Health, pour, entre autre, consolider les données sur le comportement des patients et les relier aux données cliniques. Un des systèmes développés par Evidation Health vise à détecter les variations potentielles du comportement du patient pour améliorer les soins à long terme. Les patients diabétiques, par exemple, ont tendance à prendre du poids lorsqu’ils passent sous insulinothérapie, ce qui pourrait être l’une des raisons pour lesquelles ils arrêtent le traitement. En faisant le suivi du poids du patient, de son niveau d’activité et de ses achats en pharmacie, le système peut alerter les médecins et leur signaler les patients qui ne suivent pas leur plan de traitement.

« Savoir ce qui peut se produire et pourvoir dégager les tendances très en amont permettra d’être plus proactif en termes d’éducation et de prise en charge de ces patients, avant qu’ils ne décrochent de leur traitement », explique Christine Lemke, Cofondatrice et Présidente d’Evidation Health, dans un article publié en octobre 2017.

Plusieurs dizaines de start-ups offrent déjà des services de suivi des patients au moyen de dispositifs connectés mobiles.

La coentreprise que Sanofi a fondée avec Verily Life Sciences, une entreprise du groupe Alphabet, a débouché sur la création d’un dispositif connecté et d’un logiciel qui aide les patients diabétiques et les médecins à collaborer dans le cadre d’un dispositif de traitement personnalisé.

« La quantité de données de vie réelle disponible est tout simplement phénoménale », explique le Dr Bernard Hamelin, Responsable Global, Medical Evidence Generation de Sanofi. « Toutes ces informations peuvent nous aider à mesurer les résultats cliniques pertinents des traitements qui nous intéressent. Elles nous permettent aussi de contextualiser ces résultats. »

La contextualisation au service de la personnalisation

Si le génome a fait naître des espoirs exagérés, cela est dû au fait que nous n’avons pas su prendre le recul nécessaire et contextualiser, explique Stephane Kirkesseli. « Nous pensions que nous pourrions mieux faire le lien entre les mutations génétiques et certaines maladies. Mais on oublie souvent que la plupart des maladies sont multifactorielles et que, par conséquent, elles ne sont pas liées à une seule et unique mutation génétique. »

Les efforts visant à trouver différentes manières de classifier les maladies évoluent avec la médecine de précision. « La classification fondée sur les signes et symptômes cliniques ou les facteurs environnementaux est connue depuis fort longtemps », explique-t-il. « Nous évoluons vers une classification plus mécanique et c’est là que les entreprises pharmaceutiques peuvent intervenir. Nous devons disséquer les mécanismes à l’origine de la maladie. Si nous savons, par exemple, quelles sont les cellules directement impliquées, alors nous pourrons développer des traitements spécifiques basés sur les voies que nous devons cibler pour traiter telle ou telle maladie. »

Bien que le développement de solutions personnalisées progresse de manière satisfaisante, il faudra encore du temps avant que « le cancer ne soit plus qu’une constellation du zodiaque pour les enfants de nos
enfants ».

Les coulisses de la science en 60 secondes

Génome

Le génome est l’ensemble du matériel génétique (ADN) d’un organisme. Chaque génome contient toutes les informations héréditaires nécessaires pour bâtir et faire fonctionner cet organisme. Ce terme a été inventé en 1920 par le botaniste allemand Hans Winkler et résulte de la contraction des termes GÈNe et chromosOME.

Sources: 

Biomarqueurs

Les biomarqueurs ou marqueurs biologiques sont des indicateurs mesurables d’un état ou d’une condition biologique. Les biomarqueurs sont utilisés pour prédire, diagnostiquer et faire le suivi d’une maladie. Un biomarqueur peut être une substance traçable introduite dans l’organisme pour examiner le muscle cardiaque, par exemple. Il peut aussi être une substance, comme un anticorps, révélateur d’une infection. Les biomarqueurs sont également utilisés pour identifier les patients les plus susceptibles de bénéficier d’un médicament ou d’une intervention spécifique.

Sources: